L’Affaire Valérie

Un étonnant film sur la mémoire et sur le possible. (Le Nouvel Observateur)
L’illustration subtile, captivante, de ce qu’est un fait divers. (Libération)
Un beau film contemplatif sur le temps et l’absence. Une simple rumeur permet à Caillat, documentariste proustien, de dérouler le fil de sa mémoire.
 (Les Inrockuptibles)

Synopsis

 

Qui se rappelle de Valérie, disparue dans les Alpes en 1983 ? Qu’est devenue cette jeune serveuse soupçonnée d’avoir assassiné un touriste canadien ?

Le cinéaste revient sur les lieux où il avait séjourné vingt ans plus tôt. Il enquête dans les villages de montagne, devant les précipices, au bord des lacs alpins. Il parcourt la région et interroge. Les témoignages se succèdent, mais personne ne sait. Valérie semble s’enfuir une seconde fois, s’évanouir dans la nature, devenir insaisissable. Le paysage grandiose l’a engloutie.

Comment disparaît-on ? Comment est-ce possible que cette jeune femme n’ait pas laissé la moindre trace ? Rien sur sa vie, aucun souvenir de son passage. A-t-elle même existé ?

Extraits du film

Fiche technique

 

Titre original : L’AFFAIRE VALERIE
73 minutes, couleur, France, 2004

Scénario et  réalisation : François Caillat
En collaboration avec : Silvia Radelli

Image : Jacques Besse, François Caillat
Son : Jean-Jacques Faure, Anne Louis
Montage : Martine Bouquin

Production :
ARCHIPEL 33 (Denis Freyd)
ARTE France (Thierry Garrel, Luciano Rigolini)
INA (Sylvie Cazin)
Avec la participation du Centre de la cinématographie
Avec le soutien de : Procirep – société des producteurs, Angoa, Ministère des Affaires étrangères

Format de tournage : super 16, super 8, DV Cam
16/9

Première présentation du film : FID, Marseille, juillet 2004, en compétition.
Première diffusion du film sur ARTE France : septembre 2004

Visa d’exploitation : 110. 597 (du 8/10/2010)

Entretiens :

Entretien avec Olivier Pierre (FID Marseille)

Olivier Pierre : Qu’est-ce qui vous a amené, vingt ans après les événements, à revenir sur ce fait divers ?

François Caillat : J’avais le souvenir ténu d’une histoire ancienne. Il me restait un prénom usuel (Valérie), quelques bribes de récit (une disparition, un amour, peut-être un meurtre), et ce paysage des Alpes si propice aux énigmes et aux incertitudes. Tout cela était peu, mais justement me suffisait. Je préfère avancer sur des manques et des lacunes, plutôt que sur du trop-plein. C’est dans cette indétermination que je cherche à mener mon travail documentaire. “ L’Affaire Valérie ” n’est pas une enquête classique, à la recherche de documents, de preuves ou de témoins sûrs. C’est un film sur le possible.

Le film part de cette affaire de disparition, mais dérive au fil de l’enquête pour devenir un fait divers collectif. Comment avez-vous construit le film ?

Le fait divers devient collectif parce que chaque personne rencontrée s’en empare. Chacun, confronté à un souvenir imprécis, tente de palier à son manque de mémoire. Chacun vient apporter quelque chose à l’histoire et fait résonner en lui-même le prénom de Valérie. Le film devient un projet collectif de mémoire.

La nature, filmée à différentes échelles de plans, est un personnage à part entière dans le film.

La nature n’est pas un cadre pour les personnages ni le prétexte d’un décor. C’est un élément qui fait corps avec le récit, qui lui répond ou le suscite. J’ai cherché à faire surgir “ l’esprit des lieux ” qui serait le pendant des histoires rapportées dans le film. Je fais ici référence à une romantisation de la nature, quand la nature entourant l’homme devient son interlocuteur privilégié, sa voix et sa conscience. Dans la manière de filmer cette nature, j’ai eu envie de mettre en images une “tragédie du paysage”, comme on en parlait à l’époque des peintres romantiques Friedrich ou Carus.

Pourquoi avoir choisi de rester hors champ et d’intervenir seulement en voix off ?

Je ne voulais pas me mettre en scène, ni dérouler un voyage dont le narrateur eût été le sujet principal. Le narrateur n’a ici pour rôle que d’énoncer un récit fragmentaire recueilli vingt ans plus tôt. Il rappelle les prémices d’une histoire passée. A partir de là, le film se construit comme la recherche de telles prémices. Il se met en chemin, il part sur des traces. Mais ce sont moins les traces du narrateur que les échos possibles d’un récit entendu autrefois.

Les films tournés en super 8 semblent avoir une valeur de réminiscence par rapport aux autres images.

On sait que le super-8 porte en lui une empreinte inimitable du passé. Est-ce la couleur, le grain, le tremblé ? Il y a dans le super-8 un mélange de nostalgie et de douceur qui le rend immédiatement porteur d’une relation avec le temps passé. Dans “ L’Affaire Valérie ”, là encore, le super 8 possède cette valeur de réminiscence. Mais il faut remarquer qu’il s’allie ici à des images en super 16 qui montrent une nature “hors du temps”. Les paysages sont filmés comme s’ils n’avaient pas changé depuis l’époque du fait divers évoqué. D’une certaine manière, le super 8 et le super16 concourent au même projet de faire ressurgir le passé sous l’apparence visible du présent.

“ Elle n’est pas dans votre imaginaire cette jeune fille ? ” dit une personne rencontrée. Est-ce que Valérie ne serait finalement pas un personnage de fiction qui permet au film d’exister ?

Valérie est une jeune femme indéterminée, mais très probable. Elle n’est pas un personnage de fiction avec ses caricatures et ses excès, avec l’empreinte du “coup de force” qui l’a fait naître sous la plume d’un scénariste. Elle ne possède pas les attributs qu’on exige d’un personnage de fiction, elle reste contradictoire et floue. Mais c’est justement dans ses manques que se glisse la possibilité d’un film documentaire. Valérie est un personnage romanesque, elle suscite un film dont elle demeure l’objet incertain.


Entretien avec François Caillat,
réalisé par Olivier Pierre pour le Journal du FID de Marseille,
lors de la présentation de “ L’Affaire Valérie ” en compétition française le 2 juillet 2004.

Débat public : "Le temps dans L'affaire Valérie"

Cinéma « Les trois Luxembourg », Paris

Abraham Ségal L’Affaire Valérie pose quelque part cette question : que cherche, que fait le documentaire, avec l’histoire réelle, avec ce qu’on appelle « le réel », et avec ce qui nous préoccupe ici, le temps et le lieu ?

On dit parfois que le cinéma documentaire saisit le moment présent devant nous, le « ici et maintenant ». Dans le film de François Caillat, il y a bien un « ici et maintenant », il y en a même plusieurs : des lieux variés, des temps multiples. Avec de nombreuses interrogations.

François Caillat – Oui, c’est vrai qu’il y a plusieurs niveaux de temps dans le film : d’abord, le temps présent du récit, le parcours d’un narrateur dans les Alpes, sur les traces d’une jeune femme disparue, prénommée Valérie ; ensuite, le temps passé du récit, parce que le narrateur se réfère à un premier séjour qu’il avait fait dans ces lieux en 1983, lorsqu’il avait entendu parler de cette disparition ; il y a enfin tous les temps évoqués par les personnes interrogées à propos de la jeune femme – et ces temps-là sont multiples : certaines personnes évoquent une période actuelle ou récente, d’autres font allusion à des événements plus anciens, d’autres enfin parlent d’une époque très lointaine, presque indéterminée : ils se souviennent que cela s’est passé, mais ne savent plus exactement quand…

C’est donc vrai qu’il y a une sorte de stratification du temps, avec des époques, des « couches » différentes. Et ces couches se mélangent en permanence dans le film. J’ai voulu donner le sentiment que les lieux alpins où se situe « l’Affaire » étaient chargés de mille récits, traversés de mille souvenirs, porteurs d’un passé riche mais souvent confus parce qu’on ne peut pas s’y repérer facilement. Car il ne s’agit pas de strates bien établies, comme celles dont parlent les historiens, avec une chronologie ou de la causalité ; ce sont plutôt des couches semblables à des fragments de mémoire, mêlés les uns aux autres, suscitant des confusions, des détours, des obstacles. Dans un tel passé multiforme, le récit circule très librement : il fait des bonds soudains, des rapprochements imprévisibles, sans qu’il y ait une logique apparente.

Voilà ce qui m’a intéressé dans ce film : montrer comment chaque lieu peut être ré-investi de toute une dimension verticale : la dimension de son histoire passée, ou plutôt de ses histoires passées. Cela revient à dire que s’intéresser à la disparition de quelqu’un, même si cette disparition est référée à un nom et une date précise (en l’occurrence une jeune femme nommée Valérie, en 1983), c’est s’intéresser surtout au temps qui s’est passé depuis cette date jusqu’à maintenant. Cela revient à traverser le temps.

Abraham Ségal – On pourrait dire que les lieux sont porteurs d’une épaisseur de temps… Et que le cinéaste vient là en tant que défricheur : il essaie de creuser des sillons…

François Caillat – Oui, c’est exactement cela : des sillons. D’une certaine manière, cette démarche s’apparente au travail de l’archéologue, quoique l’archéologue s’intéresse à une couche précise, à une profondeur de terrain qu’il peut estimer, il sait plus ou moins ce qu’il recherche ; alors que moi, je travaille un peu à l’aveuglette : j’ai envie de regarder ce qu’il y a en dessous, mais je ne sais pas ce que je vais trouver, j’attends de voir surgir…

Ce qui m’intéresse, dans ce genre de cinéma documentaire, c’est de voir comment les lieux sont « chargés ». Lorsqu’on fait un film, on montre des choses présentes, visibles, existantes, quasi-matérielles. Filmer, c’est faire un acte de présence devant le monde. Or, je veux montrer comment cette présence est porteuse d’une dimension cachée, d’une absence. C’est cela, le mot qu’il faut donner : l’absence. Voilà peut-être la clef d’une telle démarche.

Filmer devient alors un geste paradoxal, puisqu’il s’agit de montrer ce qui n’est pas montrable : ce qui est enfoui, ce qui est derrière. Je dis « montrer » parce qu’il faut bien montrer quelque chose. Filmer, de toute manière, c’est montrer quelque chose, présenter quelque chose. Mais il s’agit ici de faire ressortir, ou apparaître, une dimension qui se situe ailleurs…

Une femme dans le public – Il me semble que vous avez complètement arrêté le temps – ce qui n’est pas contradictoire avec les strates dont vous parliez.

François Caillat – Oui, comme vous dites, « le temps est arrêté ». Et il est arrêté parce que le film ne propose pas de déplacement réel : on circule d’un lieu à un autre, mais sans chronologie. Il s’agit plutôt de « sauts » dans le temps : en allant d’une personne à l’autre, le récit rencontre une nouvelle mémoire, porteuse d’un temps particulier. Chaque personne, avec ses propres souvenirs, apporte une nouvelle dimension temporelle, très différente de la précédente.

Abraham Ségal – Dans ce film, on peut surtout dire qu’il y a une absence : l’absence de Valérie, la jeune femme disparue. Et cette absence devient le moyen de découvrir d’autres choses, c’est-à-dire qu’il y a des présences qui se révèlent à travers cette absence.

François Caillat – Oui, c’est ce qui se passe avec les personnes interrogées dans le film. Je leur pose des questions à propos de Valérie, j’évoque sa disparition en 1983, je sollicite des témoignages et des souvenirs. Mais les éléments que je fournis sont si ténus que mes interlocuteurs ne peuvent retrouver le souvenir de cette jeune femme disparue. Alors ils font un mouvement inverse : faute de souvenirs précis sur une quelconque « affaire Valérie », ils évoquent d’autres individus disparus qui viennent peupler le film. Je proposais une histoire creuse, mes interlocuteurs la remplissent. Ils mettent à contribution leur mémoire, et leur talent inné de récitants, pour faire surgir d’autres histoires. Ils comblent le vide par du plein.

Le film se construit sur ce double mouvement. Je présente un récit très pauvre, presque incertain, constitué de bribes qui me reviennent deux décennies plus tard. Je place l’évènement dans un lieu indéterminé et dans un temps invérifiable. Dans ce vide, dans ce manque, je laisse la possibilité qu’un récit encore invisible surgisse et se mette à exister. C’est ainsi que les personnes questionnées finissent par organiser le vide avec leurs propres fantômes.

Abraham Ségal – C’est justement le manque qui fait surgir tout ça, les fantômes, les histoires du passé…

François Caillat – Pour que les gens puissent faire surgir des fantômes, il faut fabriquer un cadre adéquat. Chacun sait que les fantômes n’arrivent pas n’importe où, ni n’importe quand… Il faut rendre possible leur venue. Ce qui m’intéressait dans ce film – en tant que documentariste -, c’était de préparer le terrain pour faire advenir ces fantômes.

C’est ce que j’ai cherché à faire en fournissant le moins d’indices possibles : j’évoque une jeune femme d’environ dix-huit ans, serveuse dans un « Hôtel Bellevue » des Alpes, devenue peut-être la maîtresse d’un touriste canadien plus âgé, un écrivain qu’elle aurait assassiné avant de disparaître… Il y a là beaucoup de romanesque, mais peu de faits avérés. Les gens interrogés ont donc la possibilité de palier au vide, de combler cette faible information par d’autres informations plus personnelles. Et finalement, ils basculent dans d’autres récits qui sont les leurs.

Je n’ai pas cherché à renforcer mes faibles indices – par exemple en allant interroger des policiers ou des journalistes qui auraient pu traiter une telle affaire en 1983. J’ai au contraire voulu laisser le champ libre, suffisamment ouvert pour la venue d’autres récits. Au tournage, cela s’est passé sans peine, puisque tous les gens interrogés ont répondu par une histoire qui leur était propre. Tous ne sont pas dans le montage final (il en reste une quinzaine, sur environ cinquante), mais tous auraient pu figurer dans le film. Chacun avait sa propre « Affaire Valérie ».

Une femme dans le public – Au fond, l’histoire de Valérie ne me paraît d’aucune importance. C’est un canevas, sur lequel vient se greffer l’itinéraire de « mémoire-temps » que vous avez mis en scène. Chacun des personnages filmés raconte sa propre histoire, fait revivre sa propre mémoire – sa mémoire individuelle, sa problématique personnelle. Et c’est cela qui me paraît intéressant.

Abraham Ségal – Oui, et le film travaille : il travaille sur la frustration. Il me semble que la richesse et l’intérêt du film de François Caillat, c’est qu’il travaille sur la frustration, et sur le doute.

François Caillat – Oui, c’est bien cela, c’est le dispositif du film. Mon projet n’est pas de dire : je sais qu’il y a eu en 1983, dans les Alpes, une « Affaire Valérie », et je vais m’interroger sur le souvenir de cette affaire, tenter de la reconstituer… Non, mon projet, c’est de partir de traces extrêmement minces : une histoire basée sur des rumeurs, sans la moindre certitude. Moi-même, je ne possède aucun document, aucun souvenir direct, et je n’ai jamais rencontré de témoin visuel de cette histoire. C’est de l’ordre du « on-dit » : une vague histoire, dont on m’a rapporté autrefois quelques éléments. Et à partir de là, j’ai envie de travailler sur des histoires possibles : ce qui a pu se passer, ce qu’en disent les gens ; et aussi ce que montre ce paysage, parce que, dans ce projet, le paysage est partie prenante du récit. En filmant les lieux, je voudrais montrer un monde possible. J’aimerais que le spectateur regarde les forêts, les vallées, les villages dans le lointain, et se dise : oui, cela a pu se passer là. Pourtant, dans la plupart de ces paysages, il n’y a pas grand-chose à voir, sauf des lieux vides, du brouillard, des décors incertains… Mais justement, c’est l’occasion de les investir d’histoires passées : celles que veulent bien nous raconter les uns et les autres.

Comme le dit joliment l’une des personnes interrogées : « On est en train de faire une auto-fiction collective ». C’est vrai que tous ceux qui parlent dans ce film concourent à une construction collective – qui n’est pas une mémoire collective, mais une rencontre de mémoires individuelles. J’espère d’ailleurs que cette rencontre de mémoires ne se réduit pas aux seules personnes du film et qu’elle inclut le spectateur. Car je crois que tout spectateur peut, lui aussi, se remémorer sa propre histoire et raconter « sa » Valérie.

Une femme dans le public – Dans ce film, il y a un thème unique, qui est celui d’une variation sur l’absence, et sur la mort.

François Caillat – Oui, et c’est parce que ce thème est très pesant que les gens interrogés répondent avec une telle intensité. La plupart d’entre eux ne sont pas spécialement concernés par l’histoire d’une jeune serveuse. Mais ce qui les touche, c’est exactement ce que vous dites : le problème de l’absence, de la mort. Ce qui les frappe, c’est la disparition – mais dans un sens plus profond que le simple événement ou que le fait-divers. L’Affaire Valérie n’est pas un récit sur un fait-divers. Il touche, plus largement, à ce qui fonde notre condition humaine : le provisoire, la limite, la finitude. Le thème de la disparition ouvre un gouffre de questions sur la fin, sur l’existence, sur notre présence au monde. C’est la question de la mort, hors sa dimension factuelle : pas de corps visible, pas d’indice matériel, aucune explication rationnelle. Juste une absence durable. Si Valérie était décédée de ceci ou de cela, cela ne serait probablement pas si grave. Le drame, c’est qu’elle ait disparu, c’est-à-dire qu’elle se soit absentée sans laisser aucune trace. On est bien loin ici du domaine de l’anecdote…

C’est d’ailleurs très significatif que les gens interrogés dans le film aient tous échappé à la tentation du sensationnel ou du pittoresque. Même quand ils évoquent des événements et des lieux précis, ils donnent à leur parole une dimension quasi-métaphysique. Durant le tournage, j’ai été très surpris par une telle profondeur. Par exemple, la première femme qui apparaît, lorsqu’elle raconte la fugue de sa fille, n’en parle pas de manière factuelle. Elle ne dit pas : Ma fille a disparu, tel jour, à tel endroit… Elle n’est pas dans cette temporalité, dans ce récit du quotidien. En revanche, elle prononce une phrase qui, sous son allure simple, résume assez tragiquement la parentalité : « Les enfants, on leur donne tout… et quand ils ne sont plus là, ils nous retirent tout. » En somme, la fugue de sa fille est moins un événement précis, dans un contexte donné, qu’une mise en question existentielle. Le départ de son adolescente la renvoie à elle-même, à sa disparition comme mère : à sa mort programmée.

Charlotte Szlovak  – J’ai l’impression que ce n’est pas parce qu’on parle de Valérie qu’elle a existé… Moi, je crois que c’est tout à fait le Mc Guffin hitchcockien, qui est une sorte de prétexte à faire surgir des choses. On sent que la véritable confrontation avec le passé, c’est le super-8 qui la donne. Il permet de confronter les images tournées précédemment avec celles du présent. C’est là la vraie matérialité du passé et du présent, qui sont mis en corrélation.

Abraham Ségal – Je voudrais ajouter que l’absence de cette Valérie – on ne sait pas si elle a existé ou non, et ce n’est pas tellement important – rend les paysages encore plus présents, plus forts. C’est là que Valérie était, c’est là qu’elle a disparu. Donc on regarde davantage ces routes, ces sommets… Sur chaque lieu peut être projeté le fait que quelque chose aurait pu se passer là. Les traces de la personne ne sont pas là, mais les lieux existent.

Un homme dans le public – Ce qui importe ici, ce n’est pas la réalité, c’est une quête du temps, l’expérience du temps. Et c’est peut-être pourquoi le film fonctionne plus comme une fiction que comme un documentaire classique. Il y a une frontière qui disparaît entre les deux.

François Caillat – Oui, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on pourrait appeler la « porosité » du réel : ce qu’il y a en-dessous, ou derrière, plus ou moins invisible… et que j’aimerais révéler, percer ! C’est en cela que j’ai une probablement une démarche un peu différente d’autres documentaristes. Mais il ne s’agit pas pour autant de fiction. Les intervenants sont des personnes existantes, pas des comédiens… Et le film n’a pas été scénarisé d’avance.

Ce qui différencie aussi ce film d’une fiction, c’est qu’il travaille sur un « temps possible », qui n’est pas un temps inventé. Ce « temps possible » existe bien, c’est celui dont nous parlent les personnes interrogées.

Abraham Ségal – J’ajoute qu’il y a aussi le temps que le cinéaste donne aux personnes qu’il rencontre. C’est ce temps-là, entre autres, qui produit quelque chose. François Caillat nous a dit comment il s’y prenait. Son dispositif consiste à poser une question – un peu vague, toujours la même – avec la caméra qui continue de tourner… Et la personne interrogée « prend le temps », son propre temps, avec ses souvenirs ou ses trous de mémoire, elle donne en retour, elle crée un récit. De ce point de vue-là, cette histoire mi-fictionnelle de Valérie produit quelque chose qui est du pur documentaire, c’est-à-dire ce que les gens vivent, racontent, évoquent, etc. On est donc face à une production très réelle, très matérielle, de quelque chose qui s’élabore devant nos yeux. Cette production naît peut-être d’un prétexte, mais ce prétexte produit du texte. Et ce texte est très riche, très rempli.

Une femme dans le public – Pour moi, il s’agit surtout d’une énigme. Une énigme qui met en route l’imaginaire des gens interrogés. Une énigme qui met en route notre imaginaire de spectateur. Cela fonctionne et met en route l’imaginaire parce que c’est une énigme. On ne sait pas ce qu’il s’est passé. Il y a, au-delà du manque, un questionnement possible.

François Caillat – Oui, et ce qui m’intéresse, c’est non seulement de maintenir l’énigme, mais de la creuser davantage. Le monde qui nous entoure, le réel, m’apparaît très problématique, au sens où il s’avère toujours multiple, contradictoire, incertain, assez fugace. Et j’ai envie de filmer ce caractère problématique. C’est même un peu le but que je me donne d’un film à l’autre. Mais cela induit, dans mon travail de cinéaste, une relation avec le monde qui n’est pas du tout celle d’un enquêteur – quelqu’un qui viendrait résoudre un problème, donner des certitudes ou renforcer des avis déjà formulés par autrui. Non, ce travail vise au contraire à agiter la réalité, la secouer suffisamment pour créer un sentiment d’interrogation, presque une inquiétude, et faire surgir une parole plus complexe que celle qui se contente de réaffirmer les choses et certifier des convictions. D’une certaine manière, j’aimerais ajouter du doute au doute.

Pascaline Simar – Je trouve que tout ce qui, dans le film, passe par le récit à la première personne et les images super-8 est de l’ordre de la fiction : le réalisateur fait le récit d’une expérience, réelle ou pas. Et il y a une autre strate, qui relève peut-être davantage du documentaire : la rencontre avec des personnes au cours desquelles le réalisateur reste étrangement silencieux… et où il nous met, de ce fait, dans un espace-temps poétique et sensible. Mais est-ce qu’on n’est pas ici dans l’ordre de la mise en scène ?

François Caillat – Je crois entendre sonner ce terme « mise en scène » comme un critique… Est-ce le cas ? Je vais en profiter pour m’expliquer là-dessus. Le dispositif basique du cinéma documentaire, je n’apprends rien à personne, consiste à mettre une caméra devant quelqu’un. Or, on sait bien que tout change à partir de là. Ce dispositif inaugure, entre celui qui filme et celui qui est filmé, un vis-à-vis médiatisé par une technique, un regard, une intention. Il fabrique une situation inédite, totalement originale par rapport à la vie courante. Il y a là un artifice, un artefact, qui est la signature de l’acte cinématographique. Je crois donc que chaque documentariste, quelles que soient ses proclamations de non-intervention, d’absence de mise en scène et de respect de la personne filmée, fait des choix drastiques, tant au tournage qu’ensuite au montage. Il construit son monde de cinéaste en exerçant des choix autocratiques, il fait des propositions singulières, irréductibles à la réalité telle qu’elle serait si sa caméra n’était pas là. Personnellement, j’ai toujours revendiqué une part active dans la fabrication de l’objet documentaire. Et j’assume le terme de mise en scène.

Pascaline Simar – On peut dire en tout cas que vous faites un détour. Vous ne rencontrez pas les gens en leur disant : on va parler de la mort, de l’absence, etc.

François Caillat – Faire un détour, oui, je le revendique aussi. Et pas seulement dans L’Affaire Valérie, mais dans d’autres de mes films. Je pense qu’un cinéaste est toujours quelqu’un de rusé. Le terme peut choquer, mais je l’emploie ici dans un sens qui n’est pas déshonorant, au contraire. On sait bien qu’un réalisateur n’est jamais dans une position de demande naïve, ni de présence passive. Il cherche quelque chose et se demande comment l’obtenir – sans aller jusqu’à trahir son interlocuteur, mais où commence la trahison ? Ce n’est pas simple. La position du documentariste exige à fois de produire une certaine vérité de la rencontre, et de fabriquer un échange artificiel par le biais d’une technique. Or, entre ces deux impératifs, il y a souvent une tension. Pour réaliser l’un sans renoncer à l’autre, il faut trouver le moyen le plus approprié.

Dans L’Affaire Valérie, j’ai imaginé un dispositif, mis en place dès le départ et maintenu identique durant le tournage. Ce dispositif avait un seul but : que les gens se retrouvent dans une position telle qu’ils se mettent à parler. C’était évidemment un pari et ce n’était pas gagné d’avance. Lorsque j’en ai eu l’idée, certains ont craint à juste titre – notamment le producteur et diffuseur – que rien ne se passerait. C’était impossible, personne n’allait parler… En fait, ça a marché. Tout a le monde a parlé, longuement.

Ce dispositif très organisé, l’est-il trop ? Est-ce qu’on doit appeler cela de la manipulation ? Peut-être, oui. Je crois que le cinéma est un art de la manipulation, au sens créatif du terme : c’est inventer des formes, fabriquer des événements, construire de nouvelles relations entre les gens. C’est, finalement, susciter un monde qui n’existerait pas sans le film. De ce point de vue-là, je revendique d’être un manipulateur. J’invente des scènes et des rencontres qui n’auraient jamais eu lieu sans le film. Je provoque un moment particulier dans la vie de ces personnes : une part de leur espace-temps, qui débute à l’arrivée de la caméra et s’achève quand elle part. Cette part se situe en-dehors de leur vie courante, elle en est un moment distinct. Et c’est pourquoi les gens peuvent fabriquer de la mémoire. Ils s’extraient soudain de leur quotidien et instaurent un « temps arrêté ». Ils donnent à leur parole une profondeur inhabituelle parce que – à cause de la présence de la caméra – ils réussissent à s’évader de leur existante courante. Ils sortent de leur contexte et se centrent sur leur seule intériorité.

Le dispositif que je propose aboutit à cela : un espace-temps inédit, irréductible. Mais très passager…

Abraham Ségal – Je voudrais intervenir sur l’autre aspect de ce que disait Pascaline Simar, qui me semble très intéressant. C’est la question des deux niveaux : un premier niveau, avec l’image en super-8, la parole du « Je », la route, etc. – ce qui serait la fiction ; et un second niveau, le documentaire.

Je crois que tu parles comme ça, Pascaline, mais que tu ne le penses pas ! Parce que si l’on pouvait dire : Le documentaire, c’est ça, et la fiction, c’est ça… Le documentaire serait maigre et univoque ! Nous sommes tous à la recherche des niveaux divers, et riches, de ce que le documentaire produit. Dans le film de François Caillat, les récits prennent tout leur sens parce qu’ils sont insérés dans une trame faite de différents niveaux, de différentes matières… qui sont le tissu d’un film.

François Caillat – Oui, et s’il y a tant de niveaux, c’est parce que le monde est plein d’interstices. Les histoires que je découvre – il s’agit d’histoires réelles, de personnages existants -, ces histoires comportent de multiples trous par où se glisser. Elles sont faites d’incertitudes, de manques. C’est ce qui m’intéresse beaucoup. Je ne cherche pas à réinventer le monde, sinon je ferais de la fiction. Je me glisse dans les interstices que je vois, et j’essaie de les faire fructifier.


Débat public mené avec François Caillat au cinéma parisien « Les 3 Luxembourg »
à l’issue de la projection de son film “L’Affaire Valérie” le 15 juin 2006.
Cette soirée était organisée par l’association ADDOC, dans le cadre d’un cycle de projections-débats
sur le thème « Le Temps dans le cinéma documentaire ».
Le débat a été publié dans l’ouvrage “Le Temps dans le cinéma documentaire”,  éditions L’Harmattan, Paris.

Le décor de l’Affaire Valérie :

"La tragédie du paysage"

par  François Caillat

Dans mon film L’Affaire Valérie, j’ai cherché comment montrer le décor alpin où avait disparu la jeune serveuse en 1983. Comment présenter les lieux d’un drame inexpliqué ? Comment filmer les sommets, les vallées, les forêts ? Il fallait trouver une représentation de la montagne qui rende possible le cadre d’une telle tragédie, à l’insu des visions idylliques et clichés vacanciers auxquels chacun concourt (immensités neigeuses pour skieurs d’hiver, prairies enchanteresses pour randonneurs d’été). Je devais montrer que la jeune fille avait pu mystérieusement disparaître dans ce décor, que son effrayante énigme n’était pas contradictoire avec les lieux. Si L’Affaire Valérie s’était passée en bord de Méditerranée, j’aurais songé que la mer n’est pas qu’un lieu de plaisance et de jeux aquatiques, mais aussi un engloutissement. Dans un contexte alpin, apprécié des touristes, je devais contredire la beauté légendaire de la montagne à laquelle s’accordent tant d’attributs élevés : grandeur, magnificence, pureté virginale. Je devais remodeler cette beauté en montrant qu’elle apporte le drame. Qu’elle suscite l’épouvante avec l’admiration.

Or cette alliance des contraires, cette union de sentiments opposés, caractérise exactement le concept de “ sublime ” tel qu’il a été théorisé au 18ème siècle par le penseur anglais Edmund Burke, puis par Emmanuel Kant dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime. Le sublime définit un mélange de terreur et de fascination, une frayeur grandiose, un effroi magnifique d’où surgit chez le spectateur une vive émotion. Cela arrive lorsque la nature révèle sa démesure à travers des formes imprévues : tremblement de terre, foudre, tempête et naufrage, catastrophes variées. La montagne du 18ème siècle, réputée jusqu’alors contrée hostile et détestée par tous les voyageurs, a joué le rôle enviable de pourvoyeur de sublime. Les romantiques allemands se sont emparés du thème pour en faire l’objet privilégié de leurs peintures et textes esthétiques. Souvenons-nous des Lettres sur la peinture de paysage du peintre et théoricien Carl Gustav Carus. Pensons aux œuvres de Caspar David Friedrich, dont un contemporain disait qu’il peignait “ la tragédie du paysage ”.

Ayant retrouvé cette idée de sublime, je me suis intéressé à la peinture romantique allemande pour chercher des paramètres utiles à mon film. Il y avait d’abord ce qui relève du cadre : le rectangle du peintre, la “ fenêtre ouverte sur le monde ”. Quelle est la fenêtre du sublime ? On sait que la perspective classique privilégie le regard unificateur. Le peintre relaie le magistère divin en ordonnant la nature. Il offre au spectateur un monde stable et hiérarchisé du proche au lointain : bien disposé, à tous les sens du terme. Rompant avec la vision classique, le cadre romantique apparaît alors bien embrouillé. A la clarté du regard succède un vertige de l’œil. La montagne est peinte en fragments, partielle ou décadrée. L’avant-plan est obstrué de rochers en équilibre instable. Des grottes sombres le disputent aux crevasses menaçantes. L’ensemble paraît flottant et désarticulé, prêt à basculer en entraînant le spectateur au fond de précipices. Dans une telle mise en scène, la présence insistante de gouffres et d’obstacles signale qu’un enivrant danger, une “ délicieuse horreur ”, constitue le centre de gravité du tableau.

Comment intégrer de tels paramètres dans un film ? Comment traduire en cinématographie les contradictions d’une nature sublime ? J’ai choisi de renoncer au paysage conçu comme un spectacle rassurant (panoramique, vue générale, regard totalisant). J’ai déserté les sites en altitude, sommets et cols, lorsqu’ils offraient la clarté pédagogique d’une carte (postale ou topographique). J’ai délaissé les perspectives ordonnées pour m’approcher de fragments de rochers. Je me suis attardé au bord des précipices, j’ai filmé des parois en gros plan. J’ai scruté les morceaux éclatés d’Alpes rendues méconnaissables. J’ai multiplié les points de vue au sein d’une même image. J’ai tenté, avec le chef-opérateur Jacques Besse, de joindre à la splendeur de la montagne les signes permanents de sa dangerosité.

Une telle réflexion sur le cadre s’est renforcée par un travail sur la lumière, par des choix de pellicule et d’optique. Quelques impératifs s’imposaient : rechercher la lueur incertaine qui règne à mi-montagne, fréquenter les brouillards matinaux, préférer l’ambiance polluée des vallées à l’éblouissement des sommets ; produire avec la pellicule une image granuleuse qui suggère la dissolution des roches et la fugacité des nuages ; utiliser des optiques qui créent, par un changement d’échelle, le sentiment d’une matière friable, énigmatique, imprévisible.

Cette procédure technique a renforcé l’objet du film. Elle a fabriqué un univers où la disparition d’une jeune fille devenait possible, probable, réelle. L’événement dramatique se donne à lire dans le paysage : lieux magnifiques, nature ambivalente, angoisse diffuse. La montagne joint l’invisible au visible, elle suggère la mort sous un masque de beauté. On voit comment l’intervention d’un modèle pictural transforme un banal décor alpin (ici la vallée de la Maurienne) en paysage hanté. La montagne, filmée comme un tableau romantique, conquiert une place de personnage. Elle est le substitut du rôle principal, la réincarnation de l’héroïne disparue, son fantôme et son double. A travers elle, une jeune fille absente vient nous parler. Elle s’élance sur des pentes brumeuses, s’attarde dans de sombres forêts, grimpe jusqu’aux sommets grandioses et inquiétants. Son existence est muée toute entière en “ tragédie du paysage ”.

Emprunt et empreinte. Dans cet emprunt à la peinture, j’ai cherché à créer une empreinte qui subsisterait dans le film. La référence “ sublime ” a suscité un travail, des images. Puis elle a été oubliée.

Elle est comme la grille qui a servi au dessin et qu’on a ensuite retirée.

Texte paru sous le titre “La montagne sublime” dans le magazine de cinéma Zeuxis n°17.
Repris dans l’article “ Emprunt/empreinte ”,  
in “ Le style dans le cinéma documentaire ”, ouvrage collectif, éd. L’Harmattan.

Le dispositif du film :

Une affaire incertaine

Voix off , début du film :
« Je suis déjà venu ici, il y a vingt ans. Je me souviens, je voyageais en auto-stop dans la région. Je faisais aussi des petits films, en super 8. Cette année-là, on parlait beaucoup d’une affaire, une histoire avec un touriste canadien et une jeune serveuse.
La fille avait disparu, elle s’appelait Valérie. »

Ce qui m’intéresse, dans le documentaire, c’est de partir d’une matière extrêmement ténue – absence d’information ou de documents – pour essayer de construire une représentation, un imaginaire, un film. Avec très peu d’éléments, je travaille sur le manque, l’absence, et j’essaie de les mettre en scène.
Dans L’Affaire Valérie, le choix de partir d’un souvenir lointain, presque improbable, était volontaire. Je voulais quelque chose qui s’apparente plus à de la rumeur, à de “l’ouï-dire”, qu’à une certitude. Il y a peut-être eu une histoire avec une fille qui s’appelait Valérie, qui était serveuse dans un hôtel Bellevue, qui avait une liaison avec un écrivain canadien… Peut-être, mais rien n’est sûr. Et cette incertitude de départ m’a accompagnée durant le déroulement du film. Je ne suis pas allé voir les journalistes, ni la police, j’ai voulu travailler sur une indétermination. Sur ce que cette indétermination pouvait provoquer chez mes interlocuteurs (les différents personnages rencontrés durant le tournage).

Cette position relève d’une démarche plus générale que j’ai menée sur plusieurs films. C’est un travail sur la manière dont le passé revient vers nous : manière un peu poreuse, “oublieuse”. Cette démarche ne repose pas sur des faits vérifiés – archives, preuves, témoignages –, mais sur des signes, qu’il faut interpréter et mettre en scène. Je reconnais qu’il s’agit là d’un travail de documentariste un peu spécial. Il porte moins sur le réel que sur la façon dont ce réel vient, ou revient, à nous.

La vraie Affaire Valérie, c’est le film lui-même. C’est cette capacité collective à fabriquer du souvenir autour d’une affaire dont personne ne se souvient. C’est le manque qui devient source de plein. L’absence de souvenirs chez mes interlocuteurs les fait se remémorer autre chose. Ils refabriquent de la mémoire, ou plus exactement ils explorent leurs mémoires afi  de donner leur propre Affaire Valérie. Ce n’est pas un film avec un objectif préalable qui dirait : « Voilà, il y a eu une affaire Valérie, je vais essayer de la résoudre, et je vais vous donner la clef. » Le vrai projet du film, c’est que les gens, faute d’informations, se mettent à raconter autre chose et fabriquent une mémoire collective.

 

Il va se passer quelque chose.

Le pari était assez difficile à tenir auprès de ceux (producteur et diffuseur) qui me donnaient de l’argent pour le tournage. Ils me disaient : « Il ne va rien se passer, tu vas revenir les mains vides et tu seras obligé de faire un autre film… »
Pourtant, j’étais sûr qu’une parole surgirait, au moins pour cette raison très simple : la disparition engage un certain nombre de paramètres que je considère comme des fondamentaux de notre humanité, à savoir : la mort, la maladie, la vieillesse, l’amour, etc. La disparition d’une jeune fille touche à tout cela. J’avais d’ailleurs écrit dans mon scénario : « Je pense que les gens vont parler de fugues ; les gens vont parler de mort ; les gens vont parler de vieillesse. » Et c’est ce qui est arrivé.
La disparition d’un proche est un événement terrible parce qu’il ouvre la possibilité – mais pas la certitude – de la mort. C’est la mort sans signe matériel : sans corps ni preuves, sans trace visible. Je suppose que c’est l’une des épreuves les plus difficiles à vivre. Plus largement, la disparition nous renvoie à toutes les séparations – plus ou moins tragiques – qui peuvent scander une vie : départ consenti des enfants qui ont grandi, arrachement d’un amour brisé, silence des absents, rupture définitive avec les morts…

Je n’avais pas imaginé que cela se passerait aussi facilement. J’ai filmé une quarantaine de personnes, dont le montage a conservé une quinzaine. Tous ont répondu, et tous ont parlé de cette manière intense Tous sont de la même trempe. Je ne pensais pas que cela serait aussi simple, presque évident.

Je ne cherche pas à filmer la misère humaine. Je n’avais pas envie d’aller voir des gens pour enregistrer leurs larmes, ce n’est pas du tout mon état d’esprit. J’avais donc quelques appréhensions au départ. Je suis cinéaste, mais je ne pense pas pour autant qu’un film vaille la peine s’il fabrique de la misère supplémentaire là où il y en a déjà. Je ne suis pas de cette école. Je crois qu’un film est un objet artistique, même un documentaire. J’avais donc un peu peur de l’effet de réel. Finalement, cet effet de réel est venu, mais ça s’est plutôt très bien passé. Cela a été bien vécu par tous les gens que j’ai filmés.


Les uns nous entraînant vers les autres.

On ne rencontrait jamais les gens avant de les filmer. Rien n’était préparé, ni même repéré. On arrivait dans un endroit et l’on commençait avec la première personne croisée. Par exemple, le monsieur qui parle assez longuement vers la fin du film, celui dont la femme est décédée, c’était le plongeur du premier hôtel où l’on est allé. On lui a dit : « Voilà, on fait un film, est-ce que vous voulez bien répondre ? » Après l’entretien, on lui a demandé : – « Est-ce que vous connaissez quelqu’un d’autre qu’on pourrait interroger ? » – « Oui, tiens, allez donc voir la voisine là-bas, au bout de la rue. Allez-y de ma part. »
Cela s’est toujours passé ainsi. Les uns nous menaient vers les autres, par recommandation.

À aucun d’eux, nous ne disions jamais le sujet du film avant que la caméra ne tourne. C’était une espèce de pacte. Ils acceptaient. Nous leur posions d’emblée une question sur l’affaire Valérie. Et c’est là que, faute de se rappeler quoi que ce soit, ils commençaient à parler. Face au vide de souvenirs, ils fabriquaient autre chose. Dans la première question, nous énoncions les choses très simplement : le prénom Valérie, une jeune serveuse, un meurtre éventuel dans un hôtel Bellevue. Les gens ne se souvenaient pas. Là où, peut-être, d’autres cinéastes auraient posé une seconde question, ou coupé la caméra, nous laissions la caméra tourner. Nous ne disions rien, nous attendions. Il se passait alors quelque chose d’assez étonnant : un face-à-face avec une caméra, et une question à laquelle on ne peut pas répondre. Dans une telle situation, les gens plongent en eux, dans leur mémoire. Ils commencent à parler avec une certaine douleur. J’emploie le mot douleur parce que c’est d’une grande intensité. Devant la caméra, avec un tel silence, il se fabrique soudain quelque chose… une espèce de bascule mentale émotive, très forte.

J’avais cherché un dispositif, dans le bon sens du terme : une organisation de tournage, pas un piège. Un dispositif pour que les gens puissent énoncer quelque chose de leur mémoire sans que cela soit prémédité. Et c’est ce qui donne de la force aux choses, cette intensité des réponses. Nos interlocuteurs ne s’étaient pas préparés à ce qu’ils allaient répondre. Ils ignoraient ce qu’ils allaient fabriquer avec leurs souvenirs. Moi aussi, évidemment…
Ce qui m’intéresse, c’est que les gens fassent appel à ce qu’ils sont. Ce n’est pas tellement ce qu’ils disent, c’est la manière dont ils le disent. La manière dont ils restituent cette chose-là.

Partir de peu de chose, c’est un point de vue documentaire. Dans le cinéma documentaire d’aujourd’hui, il y a beaucoup de réalisateurs qui partent plutôt du point de vue opposé, c’est-à-dire du plein. Moi, je m’intéresse au vide parce que je trouve que c’est un point de vue très fécond.

 

La montagne sublime

Le film est très lourd, presque plombé. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour qu’il en soit ainsi. Il y a dans le paysage une espèce de romantisme très pesant, et cette forme a été choisie volontairement pour illustrer une histoire que je pense être tragique. Je garde en mémoire cette formule que l’on appliquait au peintre romantique allemand Caspar David Friedrich : on disait qu’il peignait « la tragédie du paysage ». C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup et j’ai essayé de l’exprimer dans la représentation des paysages.
L’idée de “sublime” est une autre référence qui m’a inspiré. Je prends cette idée de sublime dans le sens qu’on lui donnait dans les théories esthétiques du XVIIIe siècle (Burke et Kant). Le sublime, c’est la conjonction de l’effrayant et de l’attractif. La montagne, à l’époque classique, était l’une des incarnations de ce concept de sublime : à la fois magnifique et mortelle. Le terme “sublime” caractérise bien cette ambivalence de sentiments délicieux et glaçant. Une épouvante nous saisit qui, en même temps, nous attire inexorablement. La montagne porte ça. Enfin, elle le porte si on la filme d’une certaine manière…

 

Faire du cinéma hanté

L’Affaire Valérie est un film sur le possible, sur l’absence – l’absence même de traces. Et c’est pour moi un véritable objet documentaire. Ma position pourrait se résumer ainsi : moins il y a d’enquête, plus le travail cinématographique s’impose. Il faut inventer une forme, une narration. Il faut fabriquer de l’imaginaire.

Au montage, la difficulté était de construire une dynamique de narration, sachant que l’on n’irait pas de A à Z. À l’arrivée, on serait probablement au même point qu’au départ. Or c’est difficile de faire du sur-place dans un dispositif filmique parce qu’on va forcément d’un point à un autre pendant soixante-quinze minutes de film. Mais où est-ce que l’on va ? Comment avancer quand on ne va nulle part ?

C’est un problème que je rencontre souvent avec mes films : comment fabriquer un objet évolutif malgré l’absence d’évolution ? Car il faut bien qu’il y ait suffisamment de progression pour que le spectateur ne s’ennuie pas, quitte à servir quelques artifices de montage. Comment faire pour que l’on ait envie que le récit continue ?

L’Affaire Valérie est un film qui se déroule par accumulation – mais par accumulation de choses identiques. C’est un principe artistique assez étrange : comment fabriquer de l’évolutif tout en empilant des choses semblables ? On retrouve d’ailleurs souvent cette question dans l’art moderne :  comment l’accumulation fabrique-t-elle du sens ?

Ce qui m’intéresse, c’est de chercher dans la verticalité (du passé jusqu’à nous) tout ce qui se transporte dans les êtres et dans les choses. Tout ce qu’on tient avec nous, en nous. C’est ce que j’appelle le cinéma hanté, c’est ça qui m’intéresse. Faire du cinéma hanté.

Dans L’Affaire Valérie, il n’y a pas beaucoup de musique. Et (sauf à la fin, avec Schubert), il s’agit moins de morceaux que de fragments qui interviennent par à-coups, ou en sous-couches. Ce sont par exemple quelques notes, ou des tenues, qui s’insèrent dans les travellings d’autoroute ; ou des rumeurs (ville et campagne) “musicalisées”. On les entend sans les entendre, comme des indéterminations sonores. Comme si le paysage lui-même était hanté par les sons qui le traversent. De la même façon que les lieux alpins sont hantés par la présence possible de Valérie. De la même façon que mes interlocuteurs sont hantés par la présence de gens disparus.

J’ai essayé de retrouver cette idée au niveau du son. Faire que les sons ne soient jamais une chose simple. Qu’il y ait une épaisseur dedans, un feuilletage. Dans le film, il y a des choses que l’on croit entendre : on croit, mais on n’est pas toujours sûr. Cette présence énigmatique fabrique, ou renforce, une densité de l’écoute.

Entretien public
Journée d’étude avec les réalisateurs de la SAFIRE/ Région Grand Est
Propos recueillis par Marie Frering et transcrits par Didier Asson

Le film revu par… des étudiants :

Entretien filmé avec extraits du film

Entretien avec François Caillat autour d’extraits de « L’Affaire Valérie »  – travail mené par les étudiants en communication de l’IUT Paris-Descartes » (montage Guy Baudon, durée 49 minutes, 2010.)

Cliquer ICI

Actualité du film :

Diffusions, projections, événements

Depuis sa première diffusion sur la chaîne ARTE en 2004, le film a été plusieurs fois rediffusé à la télévision.

Il a été présenté dans divers festivals internationaux (FID Marseille, Festival dei Populi à Florence, FIDOCS au Chili, etc), puis dans de nombreuses projections en salles, en cinémathèques, en médiathèques (Mois du Film Documentaire), et lors de manifestations variées en France comme à l’étranger.

François Caillat l’a accompagné pour mener plus d’une centaine de débats publics.

Le film a été intégré dans les collections de l’Institut Français (Ministère des Affaires Etrangères) et diffusé dans le circuit culturel à l’étranger. Le réalisateur a fait plusieurs tournées pour le présenter, notamment en Amérique latine (Bolivie, Chili, Argentine, Equateur, Venezuela).

« L’Affaire Valérie » bénéficie de deux éditions DVD : Docnet et Institut Français.
Il est disponible en français, anglais, espagnol et portugais.

 

Contacts et liens : production, diffusion, distribution

 

Supports disponibles à la programmation  et diffusion :
DCP, Beta num, DVD, liens

Versions disponibles : français, anglais, espagnol

Distribution, diffusion du film :
Archipel 33
Documentaire sur Grand Ecran
Tempo Films, contact : tempofilmsprod@gmail.com

Ventes internationales :
Doc & CO, Paris

Location du film pour séances collectives (secteur culturel) :
Contact : tempofilmsprod@gmail.com

Location et projections publiques en bibliothèques et médiathèques :
ADAV

Edition DVD :
Doc Net Films Editions  www.docnet.fr

DVD pour usage privé :
Contact : tempofilmsprod@gmail.com
Ou vente en ligne sur le site de Doc Net Films Editions :
www.docnet.fr

DVD, vente en librairie : Paris, Librairie Potemkine

Diffusion à l’international  (secteur culturel) : Institut Français
Langues disponibles : français, anglais, espagnol

Dans la presse

Les Inrockuptibles

Balade presque oulipienne autour d’une disparition dans les Alpes. Vingt ans après, le cinéaste mène l’enquête, en interrogeant des autochtones. Un film révélateur et poétique où les uns et les autres expriment leur réalité à travers ce sujet imposé. (…) Une simple rumeur permet à Caillat, documentariste proustien, de dérouler le fil de sa mémoire, et celui d’habitants anonymes de cette région alpine. (…) Le but du jeu est surtout de fabriquer de la mémoire. Il faut du culot et une grande imagination pour fonder tout un documentaire sur un personnage hypothétique.
(Vincent Ostria, Les Inrockuptibles, 15.09.04)

Images Documentaires

Un film sur le vide. Sur l’absence. Sur personne. Sur les brumes alpines. Sur le ciel gris. C’est un peu de toutes ces matières impalpables que semble fait le film de François Caillat.
(Annick Peigné-Giuly, Images Documentaires, n° 52/53, 2005)

Libération

À la fin, on ne sait pas ce qu’est devenue Valérie. Mais on sait que l’on a vu l’illustration subtile, captivante, de ce qu’est un fait divers. Quelque chose d’extrêmement précis et d’immensément vague, qui réfléchit nos propres angoisses.
(Ondine Millot, Libération, 18.09.04)

Libération

Cette image a le temps. Elle effleure la montagne, elle sinue la route étroite, elle caresse l’herbe sombre qui nous conduit des lacs aux nuages de pluie. Tout est désert. (…) Vingt ans plus tard, François Caillat recherche Valérie. Une à une, il interroge les mémoires absentes. Il filme les hommes comme il filme l’automne, il laisse aller.
(Sorj Chalandon, Libération, 20.09.04)

Télérama

Qui est Valérie ? Une jeune fille disparue dans les Alpes en 1983, comme le prétend le réalisateur de ce documentaire, ou un concept créé ex nihilo et à partir duquel François Caillat a construit un film sur la mémoire et l’indétermination ?
(Nicolas Delesalle, Télérama, 15/09.04)

Le Nouvel Observateur

L’investigation proprement dite, avec ce qu’elle implique de recherche de documents, preuves et autres témoignages sûrs, n’intéresse pas François Caillat. “ Je préfère avancer sur des manques et des lacunes, plutôt que sur du trop-plein ”, dit-il. D’un mince souvenir, il parvient à construire un étonnant film sur la mémoire, et sur le possible.
(Caroline Delabroy, Le Nouvel Observateur, 16.09.04)

Emmanuel Burdeau, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma

(…) François Caillat circule dans les Alpes à la recherche d’une Valérie dont on est sans nouvelles depuis 1983. Peut-être a-t-elle été tuée par son amant d’alors, un célèbre écrivain canadien lui-même volatilisé depuis ; peut-être est-ce elle qui l’a abattu en pleine forêt, avant de partir s’installer ailleurs. On ne sait pas. Au fil des entretiens, il apparaît que nul n’a gardé mémoire de Valérie mais que tous, restaurateurs, agriculteurs, hôtes épars de la montagne, ont spontanément à narrer des récits similaires d’enlèvement ou de jeunesse assassinée : rumeurs, connaissances lointaines, parents ou amis ; parfois même éléments à peine maquillés d’autobiographie. Le thème de la disparition est donc ici doublement réinscrit. Introuvable partout, y compris dans le grand livre des introuvables, Valérie s’évanouit une seconde fois, de sorte qu’il se pourrait bien que cette serveuse de passage ne soit en dernière instance qu’une invention du cinéaste – fabulation à la faveur de quoi, c’est connu, le documentaire aime à tisser ses fables. Simultanément, les destins remémorés face à la caméra viennent peu à peu saturer cette absence superlative en faisant lever l’ombre d’une foule, le spectre d’un peuple quant à lui non entièrement soustrait au souvenir : toutes ces Valérie sans titre, qui semblent avoir tellement ressemblé à celle à qui Caillat n’a pu offrir que la consolation du sien (…)
[Cette] fable raconte un art qui se voue à enregistrer une perte non compensable, mais dont la persévérance peut amener à convertir en gain l’excès même de cette perte. De cet art, les cycles se dessinent selon le battement de deux réels : plein et vide, présence et absence (…)
(Emmanuel Burdeau, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma : extrait du texte de présentation de l’édition DVD par le MAE, 2005).

English / Español / Italiano

VALERIE’S CASE
A film-maker travels through mountain villages and along the shores of Alpine lakes to investigate the disappearance of Valérie 20 years earlier.

A film-maker travels through mountain villages and along the shores of Alpine lakes to investigate the disappearance of Valérie 20 years earlier. She allegedly murdered a Canadian tourist before disappearing without a trace. At least that is how the narrator, who was passing through the region at the time, remembers the story. Over the course of the interviews, the elusive Valérie seems to disappear a second time, literally engulfed by the Alpine landscape, magnificently captured on film by François Caillat. A haunting, imposing landscape, where chasms and precipices become metaphors, characters in a work of fiction that the camera turns into a documentary. A film in the form of an essay in which the director takes his work on memory to its highest degree of abstraction.

 » A filmmaker searches for a young woman that mysteriously disappeared 20 years ago from some Alpine town. It is believed that a Canadian tourist murdered Valerie. The testimonies filmed by Francois Caillat, end up ignoring the matter and begin talking about them, shoring intimate experiences. Valerie’s Case (2004) becomes a film about secrets, unconfessed remembrances, and people that surrendered in uncommon ways to the camera to recount an episode of their It’s also a film full of mystery and intrigue. The development of the story, the investigation itself, and lines of interest, the excellence of minimalist music, traps the spectator from the first minutes thanks to a well-made and exemplary dramatic construction. The images in 8 mm shot by Caillat himself are another narrative agent that shows how much documentaries have changed regarding cinematographic language. The documentary « realism » has been left behind. Francois Caillat traverses a new road. »
Patricio Guzman (translated from spanish)

FICHA TECNICA
EL CASO VALÉRIE
Un filme de François Caillat
75 min./ 2004 / Betacam SP / color
VO con subtítulos en español
Imagen: Jacques Besse y François Callita
Son: Jean-Jacques Faure
Montaje: Martine Bouquin
Productor: Denyis Freyd / Archipel 33

Un cineasta indaga en los pueblos de montaña, en el borde de los lagos alpinos, sobre la desaparición de Valérie ocurrida hace veinte años. Se piensa que Valérie pudo haber asesinado a un turista canadiense antes de desaparecer sin dejar rastro. Por lo menos, ese el recuerdo que ha guardado el narrador que estaba de paso por la región en la época del drama. A medida que transcurren los testimonios, Valérie parece evaporarse por segunda vez, inasequible, literalmente devorada por el paisaje alpino maravillosamente filmado por François Caillat. Paisaje encantado, grandioso, donde simas y precipicios devienen metáforas, personajes de una ficción que la cámara convierte en documental. Una película en forma de ensayo donde el realizador lleva a su más alto nivel de abstracción su trabajo sobre la memoria.

Patricio Guzmán :  » Un cineasta busca a una muchacha desaparecida misteriosamente hace 20 años en los pueblos de Los Alpes. Se piensa que Valérie ha sido asesinada por un turista canadiense. Los testimonios filmados por François Caillat terminan ignorando el tema y hablando de sí mismos, contando una experiencia íntima. “El caso Valérie” se convierte así en un filme de confidencias, de recuerdos inconfesados, de personas que se entregan de una forma poco frecuente a la cámara para contar un episodio de su vida. También es un film lleno de misterio, de intriga. El desarrollo de la historia, la investigación misma, la línea del interés, la excelente música minimalista, atrapan al espectador desde los primeros minutos gracias a una construcción dramática bien hecha, ejemplar. Las imágenes en 8 milímetros filmadas por el propio Caillat son otro agente narrativo que demuestra lo mucho que el documental ha avanzado en materia de lenguaje cinematográfico. El “realismo” documental ha quedado muy lejos. François Caillat transita por un camino nuevo.  »
(FIDOCS, Santiago Del Chile, 2011)

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