Peter Sloterdijk, un philosophe allemand
Synopsis
Rencontre avec l’une des figures majeures de la scène intellectuelle, le philosophe allemand Peter Sloterdijk.
Le film se compose d’entretiens sur la modernité, et d’extraits de séminaires donnés par le philosophe à Karlsruhe (Allemagne) et Vienne (Autriche).
Extrait vidéo
Fiche technique
Titre original : « PETER SLOTERDIJK, un philosophe allemand »
54 minutes, couleur, stéréo, 2003, France
Langues disponibles : français, allemand
Scénario, entretiens, réalisation : François Caillat
Image : Michel Bort
Son et mixage : Pascal Rousselle
Montage : Catherine Zins
Etalonnage : Remi Berge
Format de tournage : Beta num 16/9
Production :
ARTE (Sylvie Jézéquel, Jean-Jacques Henry)
INA (Dana Hastier, Sylvie Blum)
Avec la participation du CNC
Supports disponibles à la programmation :
Beta num, DVD, fichiers
Distribution, diffusion du film :
INA
Location du film pour séances collectives (secteur culturel) :
Contact : cinema.documentaire@laposte.net
DVD pour usage privé, vente par correspondance
Contact : cinema.documentaire@laposte.net
DVD, édition commerciale 2018
En cours, Tempo Films
Entretiens (chapitrage)
Chapitrage des entretiens
Qu’est-ce que l’homme ?
Une autre définition de l’homme
L’homme-céramique
Comment penser l’homo creator
Ce que nous apprend une anthropologie
Un cocon fragile
II. LA TACHE DE LA PHILOSOPHIE
Le Beau et le Sublime
Erhaben/Sublime
Qu’est-ce que la philosophie du Beau ?
Les philosophes “ cosméticiens ”
Ordre et désordre
L’inquiétant dans les sciences
Le rôle du philosophe
Réflexions sur la modernité. Le monstrueux
Une controverse
III. DIAGNOSTIC DE NOTRE EPOQUE
Le cœur froid
Que faire sans la révolution ?
Entretiens (intégrale)
Trois entretiens sur la modernité
I. LE ROMAN DE L’HUMANITE
Qu’est-ce que l’homme ?
Eh bien si l’on cherche à répondre avec les moyens contemporains, à la question qu’est-ce que l’homme ?, la procédure la plus appropriée, c’est probablement de voir d’abord quelles sont les réponses qu’on a données dans le passé et qui ne nous conviennent plus aujourd’hui.
La définition la plus classique de l’ancienne Europe, de la veille Europe, c’était de décrire l’homme comme un animal rationnel, c’est-à-dire un être vivant doué de la raison. Et aujourd’hui nous doutons des deux. Nous doutons qu’il s’agisse vraiment d’un être vivant, nous doutons également qu’il soit doué de raison. Et parce que l’on ne se fie plus à ce que l’essentiel de l’inquiétant de cette expression soit une animalité dotée de raison. L’être humain, si vous voulez, n’est pas un animal dopé, il n’est pas un animal. Il fait certes partie de cette famille des mammifères, mais ça n’est pas la définition qui nous convient et qui nous satisfait si l’on ajoute la raison à l’animalité.
Une autre définition de l’homme
Les Européens ont l’avantage de posséder un conte, une légende, un récit du mystère du début. Comment l’être humain est devenu. Et il s’agit là d’un récit tout à fait inépuisable. Je fais évidemment là référence à la Genèse. Dans les temps contemporains, nous vivons avec ce regard sur le démiurge que nous avons. Ceci provoque une résonance très profonde, donc si on lit la Genèse, l’être humain n’est justement pas cet animal. Parce que Dieu a créé les différentes espèces, plantes, animaux, etc. Et l’homme était à la fin de cette création. Donc l’homme n’est pas un animal, mais une sorte de reproduction du créateur. On peut en déduire également que le créateur est donc sensé avoir eu des traits humains auparavant. Il ressemblait à la forme humaine et qu’il a donc imprégné la matière de sa propre imago. Donc à ce niveau-là, l’homme n’est pas du tout nature, l’homme est exclusivement une fabrication. D’une certaine manière c’est un produit qui sort directement de la poterie du Bon Dieu. Et le premier, Adam est un être céramique. C’est un homo céramique, une sculpture.
Donc d’après la vielle anthropologie européenne, l’homme est une sorte de contenant. Et l’homo sapiens est une sorte de peau de vase anthropomorphique, qui est creux à l’intérieur, qui délimité par des parois. Tout comme à l’époque on savait très bien former des pots des vases dans le Proche Orient.
L’homme-céramique
Donc au début se n’est pas la métaphysique, mais c’est la méta-céramique, si l’on peut dire. Donc à l’intérieur creux, comme je viens de vous le dire, un contenant anthropoïde que l’on n’emplit pas du liquide habituel, mais qui est rempli d’esprit . Et c’est ainsi que l’homme est créé comme on peut le lire dans la Genèse. D’une certaine manière, si l’on regarde les choses avec des yeux simples, il y a d’une part une technique, et d’autre part il y a le mystère, le coup de main de Dieu. Quelque chose que nous ne savons pas imiter aujourd’hui. Parce que justement le secret, c’est qu’il est ensuite aller insuffler l’âme à ce contenant creux, à ce vase. Et depuis que l’Europe est devenue Europe, c’est-à-dire depuis que le démon de la technologie est venu chez nous, nous cherchons toujours à attraper ce coup de main, à prendre ce mystère, ce truc du Bon Dieu. Et donc de voir comment faire. C’est-à-dire on peut définir l’être humain, par le fait d’être quelqu’un à qui on a insufflé l’esprit et qui chercher maintenant à reproduire ceci, à insuffler lui-même la vie et donner un esprit à la matière.
(…)
L’erreur qui se trouve dans l’expression d’animal rationnel, c’est qu’il ne suffit pas d’avoir ajouter cet additif de doué de raison à l’homme qui est l’animal échoué. Parce que l’homme est lui-même un créateur. Et si l’on voulait trouver une formule qui soit du même niveau, d’une même importance que l’animal rationnel, on devrait parler de l’homo creator.
Comment penser l’homo creator
L’anthropologie contemporaine ne débute en fait que lorsque la théologie disparaît. C’est-à-dire, l’anthropologie religieuse peut encore nous aider à comprendre à quel niveau élevé, notre réponse doit se situer. Mais ni Platon ni le Genèse, ni la tradition judéo-chrétienne peuvent nous aider à y arriver. C’est-à-dire nous sommes à la recherche d’une nouvelle langue qui nous permette d’atteindre le même niveau. Mais d’utiliser des termes différent pour cet anthropogenèse. Et c’est pourquoi je cherche une paléontologie philosophique. C’est-à-dire qui va s’appuyer sur la forme religieuse pour expliquer le mystère de la création et du devenir de l’homme. Mais de trouver un équivalent à cette forme qui explique le souffle qui a été donné au récipient. C’est-à-dire aucune anthropologie ne vaut la peine, n’est suffisamment bonne, si elle n’est pas aussi forte que la mythologie. Parce que ce sont des mythes qui nous donnent le “la” par rapport au niveau que nous devons atteindre avec notre pensée pour le comprendre. Et l’anthropologie doit atteindre ce niveau là.
Ce que nous apprend une anthropologie
Reste question de ce qui s’est passé. Qu’est ce qui s’est passé ? Qu’est ce qui est arrivé à cet animal qui a été assez malheureux pour devenir homme. Qu’est ce qui n’a pas fonctionné chez lui afin que cette transformation ait lieu et que la lignée animale soit interrompue chez lui. Moi, je suis convaincu qu’il doit y avoir une réponse. Probablement l’homme est l’animal qui s’est enfermé dans son propre piège. Et ce piège, je peux imaginer qu’il consistait à ce que chez une certaine famille de très grands singes, la relation entre la mère et son enfant soit devenue tellement étroite, tellement intimiste, que cela ait donné l’exemple à tout le groupe. Et que tout le groupe a suivi. Et que tout le groupe est devenu une sorte d’incubateur (couveuse). Parce que, à mon avis, la définition ou au moins l’explication de ce qu’est l’homme, c’est qu’il se définit dans l’espace dans lequel il vit. Donc l’homme est une création d’incubateurs (de couveuses). Et il ne quitte pas cet incubateur (cette couveuse) depuis le berceau jusqu’au cercueil. Et la culture c’est au fond le système qui est une sorte d’ersatz d’utérus, qui donne les institutions, les artistes, les arts, et tout ce qu’il faut à l’homme pour se calfeutrer dans cet espace, pour se protéger, se fermer par rapport à la nature.
(…)
L’humanité a, au fur et à mesure de son évolution a choisi des voies de plus en plus raffinées, s’est créé des structures de sécurité de plus en plus luxueuses, s’est créé des cocons de plus en plus douillet et confortables. Et c’est à l’intérieur de ces abris que l’être humain prospère.
Un cocon fragile
Paradoxalement, plus l’homme s’est immunisé contre ces influences extérieures, plus il est devenu fragile. Plus il est facile de le blesser maintenant. Parce que la barrière entre l’homme et l’animal est d’autant plus grande que l’homme est capable de souffrir au delà de l’animal. Il sait ce que c’est le souci, la préoccupation. C’est vraiment le pas qui l’amène au delà de l’animal. Et l’existence humaine souffre de ce qu’elle sait déjà du mal qui va arriver demain.
C’est quelque chose que l’on trouve déjà dans la philosophie grecque. Que le mal de demain est déjà là, parce que nous nous en préoccupons déjà aujourd’hui. Nous allons mourir et nous mourrons dès aujourd’hui parce que nous savons que nous allons mourir un jour. Nous sommes déjà en esclavage, parce que nous connaissons le risque d’être un jour vendu comme esclave. Nous sommes déjà vaincus par la guerre parce que nous préparons la guerre prochaine, même avant qu’elle soit arrivée. Donc c’est véritablement une question qui fait partie de l’éthique d’une culture extrêmement… d’un très haut niveau, extrêmement raffiné. Comment s’immuniser contre cette douleur de l’avenir qui est en nous ? Comment surmonter cet échec de ne plus être animal ? Ceci explique aussi le désir très fort de retourner à cet état d ‘animal. C’est-à-dire d’être à nouveau dans l’état bien heureux de ne pas avoir d’avenir. Et celui qui est vraiment heureux ne pense pas à demain.
II. LA TACHE DE LA PHILOSOPHIE
Le Beau et le Sublime
Dans la modernité, nous avons une sorte de lutte, de bagarre qui se déroule au niveau de la philosophie entre le beau et le sublime. La philosophie qui décrit d’une manière plutôt positive ce qui est considéré comme anodin. Et la philosophie du Unheimlich, c’est-à-dire ce qui est inquiétant et ce qui ne vous donne pas de maison, ce qui ne vous protège pas.
En français :
Erhaben/Sublime
Le mot Erhaben fait résonner des connotations qui font penser au terrible. Et si c’était possible de rendre le concept Erhaben par une expression hybride, composée par l’élément sublime, qui désigne la hauteur et un élément de terreur qui désigne la dimension chaotique… quelque chose qui dépasse l’humanité, non seulement dans la direction de la hauteur mais aussi la dimension de la destruction… on aurait trouvé un équivalent pour le terme Erhaben.
Qu’est-ce que la philosophie du Beau ?
Le cosmos, c’est ce qui est beau, ce qui est mis en ordre, c’est ce qui est en opposition avec le chaos. Et le cosmos est donc cet espace entre guillemets, où tout ce qui est “ unheimlich ”, tout ce qui est inquiétant est mis en ordre. Et qui est enjolivé même d’une certaine manière. Et donc quand on parle de philosophie, on peut dire d’une certaine manière qu’il y a toujours cette tentative d’enjoliver les choses. Donc le cosmologue est philosophe et il est en même temps une sorte de cosméticien, d’esthéticien si vous voulez (entre guillemets), parce ce que les deux mots ont la même origine et ramènent à la pratique de décorer… de rendre plus beau. C’est-à-dire qu’on décore, qu’on enjolive le lien qui unit toute chose. C’est ça le cosmos. Donc ça va aussi bien pour l’univers et pas seulement pour les femmes. Et les philosophes ont donc compris très vite qu’il fallait donner un petit coup de pouce, aider un petit peu afin d’arriver à la beauté.
Les philosophes “ cosméticiens ”
Dans la modernité, Emanuel Kant est sans aucun doute le maître à pensée de la belle philosophie, du beau dans la philosophie. Et il a fait un effort sans pareil afin de mettre de l’ordre dans cet univers où le chaos frappe à nouveau à la porte. Mais il a compris qu’il ne peut pas faire ceci par la cosmologie, mais qu’il faut le faire par la théorie du sujet mis en ordre si vous voulez. C’est-à-dire on ne peut plus se baser sur les principes de l’ordre tels qu’ils étaient prévus dans l’ancienne cosmologie. C’est-à-dire l’ordre des étoiles, des pierres, des plantes, des animaux et des êtres humains.
Ordre et désordre
Dans l’ancien, de toute façon, nous avons une classification très stricte : les états, hiérarchie, l’ordre. C’était une véritable obsession de la classification qui a presque un caractère évangélique si vous voulez. Et à partir du moment où il n’y a plus d’ordre, où il n’y a plus de classe, où il n’y a plus de places bien déterminées dans un ensemble, il y a une sorte de nomadisme qui commence à se faire. La possibilité de se déplacer, de sortir, de ce système d’ordre. A ce moment là, il n’y a plus aucune digue que l’on peut véritablement mettre à l’encontre, mettre contre le chaos. C’est pourquoi au XIXe siècle, l’objet du “ Unheimlich ”, de l’inquiétant, s’explique d’abord par le fait qu’on ne peut plus classifier.
Et ensuite il y a la théorie de l’évolution. Où même les catégories de la vie commencent à glisser. C’est véritablement la déstabilisation par excellence. Parce ce que cette classification par excellence qui existait auparavant, en rapport aux animaux, aux plantes etc.… ne marche plus.
L’inquiétant dans les sciences
Nous vivons dans un univers, à la fin du XXe siècle où, l’inquiétant a véritablement fait son entrée de par les sciences. Et là pour une fois, je crois que l’opinion publique est d’une certaine manière en avance sur les diagnostics professionnels que les philosophes peuvent faire par rapport à l’époque dans laquelle nous vivons. On constate aujourd’hui une très grande inquiétude et une peur par rapport aux sciences. Et je pense qu’il y a de bonnes raisons pour cette épistémophobie, si j’ose l’appeler ainsi. Et il y a aussi de bonnes raisons pour regarder tout ceci d’un peu plus près. Parce ce qu’il s’agit en effet d’un problème qui est fatal, c’est-à-dire qui a une influence directe sur notre destin, sur notre vie.
(…)
Il faut voir quand même que c’est au XXe siècle que ce sont véritablement les sciences qui ont fait la percée vers l’inquiétant, le “ Unheimlich ”. Je pense que ça pourrait être le grand titre de notre époque.
Le rôle du philosophe
Il y a une définition romantique de la philosophie : que la philosophie doit penser l’impensable, ce qui est une définition tout à fait respectable. Mais j’estime qu’elle n’ose pas dire exactement ce qu’elle veut dire. C’est-à-dire d’une certaine manière, la fonction philosophique serait dans ce sens de penser ce qui rend fou, de penser dans la folie. Et si la philosophie veut créer de l’ordre, ce paradoxe de dire penser l‘impensable, qui vous est susurré à l’oreille, arriverait à une telle simplification du système que le système exploserait… Qu’il faudrait admettre dans ce système, la subversion, par la folie justement. Et là il faut continuer à se poser la question : Est-ce que la folie peut servir la vérité ? Y a-t-il une folie véritable ? Une folie raisonnable ?
(…)
Ce fantasme, cette imagination comme quoi les philosophes puissent amener le non-dit à l’état de dit, comme le poète. ou qu’il puissent amener le non-pensé à l’état de pensée, c’est l’exemple type de la philosophie sublimée, c’est-à-dire c’est le métier du philosophe s’il est lui même créatif. Si l’on se contente de faire la philosophie du Beau, comme nous le disions tout à l’heure, à ce moment là, le métier de gardien des idées est un métier tout à fait convenable. Mais de toute façon, il n’est écrit nulle part que seulement le nouveau était la vérité, et le rangement dans le grenier de la culture une occupation tout à fait convenable. Et donc il faut respecter aussi les philosophes qui se comprend comme un conservateur. Mais à ce moment là, on reste dans la belle philosophie. Si l’on joue avec le feu romantique à ce moment là, si l’on attend de la philosophie qu’elle apporte elle-même quelque chose de nouveau, alors nous venons de par le terme même sur le terrain du Sublime.
REFLEXIONS SUR LA MODERNITE.
Le monstrueux
En français :
C’est tout l’essentiel de la modernité que nous devons recevoir chez nous des visiteurs , que nous ne pouvons pas vraiment héberger chez nous. Et qui refusent quand même de partir. Donc on a parmi nous l’artillerie. On a parmi nous le nucléaire, on a le savoir génétique, qui s’est ancré dans les laboratoires de la modernité. On a des savoirs sur le cerveau. C’est aussi un visiteur très inquiétant.
Et tout ces savoirs monstrueux réclament d’être naturalisés au service de notre société. Donc c’est ça, à mon avis, l’essentiel du monstrueux. C’est le fait que les fantômes, les spectres, les démons d’autrefois, de l’ère métaphysique, se sont transformés en visiteurs cognitifs de nature très inquiétante, qui vivent parmi nous. Qui ne demandent même plus de visa pour une demande… un permis de séjour. Parce qu’ils sont déjà là.
(…)
Cette cohabitation avec le monstrueux est l’essence même de la modernité. Et la société moderne est une grande entreprise d’hôtellerie pour ce genre de visiteurs. Ils sont parmi nous et on aimerait bien les enfermer mais ils circulent.
Une controverse
Toutes les nouvelles vérités qui arrivent ont le droit de visiteur, le droit d’être accueillies. Le droit de l’hôte leur est accordé d’une manière illimité. C’est-à-dire toutes les vérités de ce genre ont le droit d’asile. Parce que nous avons cette possibilité, même si ce sont des vérités qui ne nous plaisent pas, ou qui nous posent problème.
Par exemple, en 1900, quand la psychanalyse est venue de Vienne, avec des informations plutôt désagréables, du genre que tout un chacun avait envie d’épouser le parent qui n’était pas de son sexe et de tuer celui qui était du même sexe, c’est quand même pas très agréable à apprendre, n’empêche que nous avons parfaitement naturalisé ce genre de vérité.
(…)
Ensuite dans les années 20-30-40, il y a eu un certain nombre de vérité qui étaient plus désagréables. Et ensuite dans la deuxième moitié du siècle, des choses beaucoup plus inquiétantes, parce que justement, il y a de nouveaux concitoyens de vérités qui sont venus pour lesquels nous n’avions rien prévu dans la constitution. Ces vérités là se trouvent encore dans une sorte de camp de transit. Nous ne les avons pas encore logées comme il faut, et nous ne savons pas trop comment les traiter.
Cela vaut plus particulièrement pour la biologie. Parce que l’être humain a déchiffré le génome. Et là, c’est véritablement un étranger très inquiétant.
La même chose peut se dire de beaucoup d’autres domaines, la neurologie, des sciences sur le cerveau humain, sur notre nature en tant qu’être énervé.
Il y a une troisième invasion de citoyens inquiétants, c’est tout ce que nous avons appris dans les cent dernières années sur le système immunologique. Et ce sont au fond là, des vérités pour lesquelles nous ne sommes pas vraiment fait. C’est-à-dire l’homo sapiens cherche, se base sur ce lien entre la perception et l’action. Et cette évolution là que je viens de décrire, c’est trop pour eux. Ça nous en demande trop. Ce que nous avons appris, je répète, sur le génome, l’immunologie, et le cerveau. Et ces choses inquiétantes qui sont d’une certaine manière des monstruosités. Et bien, l’être humain, l’homo sapiens doit maintenant seulement leur faire face sans pour autant savoir quelles seront les conséquences anthropologique de ce qu’il sait maintenant.
III. DIAGNOSTIC DE NOTRE EPOQUE
Le cœur froid
Les êtres humains sont liés par une ouverture du cœur. Cœur qui est toujours ouvert vers l’autre même s’il cherche à s’en défendre et à s’en protéger. D’ailleurs aujourd’hui, quand on parle du cœur, on parle surtout généralement de la froideur, de la dureté du cœur. Ce n’est pas toujours ce lien du cœur qui fond et qui se transporte vers l’autre, mais c’est le froid. Comme Martin Franck, l’écrivain allemand, l’a très bien décrit dans une de ces œuvres.
Donc on parle des relations entre les êtres humains, entre les cœurs. C’est généralement le froid qui prévaut. “ Je vais te montrer à quel point, je peut être insensible et froid à ton égard. Comme je peux ne pas t‘aimer ”. Et c’est Je t’aime moi non plus, dans ce contexte. Donc voilà la fréquence sur laquelle le cœur moderne émet et reçoit.
(…)
Nous ne pouvons pas nous dégeler nous-même. C’est justement là tout le problème de ce froid, cette froideur moderne. Ce froid ne peut pas, ne peut disparaître que dans la friction avec un autre corps. Et ce miracle de la friction qu’attend l’être humain moderne. Ceci explique d’ailleurs que si l’homme moderne a perdu sa foi dans la révolution au XIXe et XXe siècle. L’homme attendait, tout au moins l’homme qui était doté d’une intelligence du cœur attendait cette révolution . C’était comme un avant, une attente de quelque chose qui est devant nous. Et à ce moment-là, toute la misère allait être résolue. La misère n’allait plus exister. Et c’était la fin du froid. Et la société allait donc entrer dans une ère de la chaleur révolutionnaire. Et bien dans la modernité, dans l’époque terminale… enfin, vers la fin de l’époque moderne… c’est-à-dire le dernier tiers du Xxe siècle, dans notre société de consommation occidentale, on n’attend plus la révolution collective. Mais chacun veut sa petite révolution privée, ce réchauffement individuel, veut une thermo-politique individuelle. Et ceci a coupé la bases pour la révolution possible à un niveau plus élevé.
Que faire sans la révolution
Au fond, on devrait complètement changer de discours politique par rapport aux objectifs que l’on poursuit. Si la gauche classique a toujours parlé de notions comme la misère, la pauvreté, la situation précaire, la gauche moderne qui est arrivée elle-même dans cette société d’affluence devrait plutôt parler du confort. Pour le dire d’une manière encore plus pointu, et pour faire définitivement peur, horreur plutôt aux traditionalistes, on devrait carrément écrire dans les programmes politiques une politique offensive de la manière de gâter les citoyens. Que cette manière de chouchouter les citoyens est véritablement le premier droit de l’être humain. Et dans la description de la condition humaine, tout les termes de morale que l’on a utilisé dans le passé devraient justement être remplacés par l’expression de la gâterie, la cajolerie.
(…)
En français :
Nous n’avons pas encore un discours valable pour parler de ce qui s’est passé au XXe siècle. Nous sommes tous dans la brume. Nous avons assisté à un évènement que personne ne veut prononcer, et dont personne ne veut faire le messager parmi les gens honnêtes, les gens de gauche, un élément qui consiste effectivement dans le fait que dans nos sphères et dans nos latitudes, le phénomène de véritable pauvreté, de véritable misère créé par les conditions sociales, a presque disparu.
(…)
La société contemporaine n’est pas à la hauteur de sa propre richesse, et l’impossibilité de penser la richesse, c’est le véritable problème idéologique de notre temps, et il faut reformuler la situation du XXe siècle, en terme anthropologique. Parce que pour la première fois depuis, depuis le paléolithique, on est entré de nouveau dans une situation caractérisée par l’impossibilité d’être pauvre. Et tous les réflexes qu’on éprouve lorsqu’on écoute une phrase comme celle-là fait partie d’un système misérabiliste par lequel nous avons tous été entraîné depuis notre première enfance, nous avons appris à nous penser pauvre
(…)
Maintenant, c’est à nous de gagner le combat contre le misérabilisme et l’international qui se veut grand, qui se veut pressenti comme la grande politique. Les puissants, les super-puissances se réclament aujourd’hui tous les privilèges, du super-victime et du super pauvre. C’est ça, l’obscénité de notre époque. Et c’est là qu’il faut attaquer avec un avis spirituel approfondi de notre siècle qui commence à se débarrasser de ses héritages méchant du XXe siècle qui a été profondément marqué par toute forme de radicalisation du misérabiliste. Et Nietzsche, le grand solitaire de ce siècle, et ses amis dont ceux qui sont convaincus de l’impossibilité d’être pauvre sont toujours une minorité désespérante, désespérément minoritaire
(…)
En français :
Tout le monde fait semblant de ne pas avoir de quoi vivre. Et tout ces professionnels de la précarité, du manque, de la misère, de la nécessité, empêchent la société de noter ou de prendre acte de sa véritable situation. Sinon on ne serait jamais capable de répondre à la question : Pourquoi nous n’assistons pas à une offensive de la générosité ? Ça, c’est la dernière question d’ordre moral, qui nous reste. Pourquoi les êtres humains qui vivent dans la société d’affluence ne sont pas convertis tous à une religion de la générosité ? Pourquoi la générosité représente toujours l’exception absolue ?
(…)
En français :
C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai dit que la gauche du XXe siècle serait Nietzschéenne ou ne sera pas. Parce que Nietzsche est le maître-penseur de la question du don.
Depuis le film
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