Je ne filme pas le réel, je cherche plutôt sous le réel. J’interroge ses lacunes, ses absences, ses souvenirs. J’essaie de reconstituer un feuilletage, une épaisseur, la marque du temps. Je voudrais associer à chaque image d’aujourd’hui les fantômes de son passé. Si ce passé n’est pas connu, je tente de le reconstituer. Si c’est impossible, je suis à prêt à l’inventer. Le monde réel ne m’intéresse pas si c’est seulement une surface ici et maintenant. Je lui préfère son double, son multiple, ses profondeurs que le cinéma peut tenter de rendre plus ou moins visibles, à l’aide d’images et de sons qui deviennent autant de signes hantés. Je me confronte ainsi à la mémoire possible des êtres et des choses. Je m’y intéresse d’autant plus que cette mémoire est incertaine, fragmentaire, inaccomplie. Dans ces failles se trouve justement la possibilité de mener un film comme on mène une enquête à partir de traces et d’échos. Une enquête parfois très documentée, mais jamais réaliste. Elle se mesure à des faits, voire à des preuves, mais elle se satisfait aussi de flous, de réponses partielles, d’explications inabouties. Je suis prêt à combler les manques, à fournir des réponses qui ne seront que les miennes. Les lieux vides et les destins mystérieux sont évidemment propices à un tel travail. Ils engagent l’imagination à compléter le tableau. Je ne sais pas s’il s’agit de cinéma documentaire ou de fiction. Je préfère dire que je fais de la fiction avec des personnages réels. C’est ce que j’aimerais appeler du cinéma documentaire romanesque.

Texte de François Caillat publié dans le journal “Périphérie”, du Centre de création cinématographique Périphérie.
Ce texte répond à la question “ Pourquoi filmons-nous le réel ? ”(posée à une douzaine de cinéastes).