Dans son roman Vestiaire de l’enfance, Patrick Modiano parle de la “transparence du temps“ pour évoquer la superposition de différentes époques dont se souvient le narrateur. Modiano utilise, à propos de cette superposition, le terme de ”surimpression“ : comme si la mémoire possédait une consistance cinématographique, comme si chaque souvenir formait une image où s’inscrivent en transparence d’autres images vivaces

Cette formulation caractérise la tâche que je me fixe actuellement dans mes projets – dans les derniers films que j’ai tournés, dans ceux que je prépare. Je n’entends pas par “tâche” une contrainte que je m’imposerais et que chaque film aurait obligation d’accomplir. J’évoque une manière d’être dans laquelle je me glisse avec bonheur, un sentiment intérieur qui me convient si parfaitement que je n’en vois aucun autre possible.

Je souhaite donner à la ”transparence du temps“ une incidence aussi forte sur la fabrication matérielle de mes films que le cadre, la prise de son ou le choix des acteurs. Le facteur temporel peut sembler une valeur très abstraite s’il s’agit de tourner une interview ou de filmer nos contemporains. Pourtant, il engage une qualité précise d’image, de la même manière que l’utilisation d’une pellicule apporte un rendu particulier de couleur et de lumière. Déjà, dans mon film Trois Soldats allemands, le projet de récit fantomatique fixait les choix techniques : filtres et écrans translucides propices aux apparitions, diffuseurs servant une texture d’image incertaine. Chaque plan devait être hanté. Plus tôt, dans mon film La Quatrième génération, le facteur temps référé à l’enfance entraînait, là encore, des décisions de support et de cadre : super-8, gros plans de nature, etc. Dans mes prochains films, je souhaite poursuivre ce travail et montrer le temps comme une superposition, une “surimpression”. Cela suppose qu’il ne se réduise pas à la simple diachronie d’un récit, ni à des procédés de flash-back, mais qu’il soit l’effet d’outils cinématographiques offrant à chaque image une épaisseur temporelle très visible. De tels outils existent ou sont à inventer, je les explore.

Je souhaite faire apparaître, sous le réel documentaire, un autre réel. Présent mais très ancien, infiniment passé. Je souhaite parler d’un monde qui ne se confonde pas avec celui que raconte le film : son arrière monde, son double, l’écho qui lui donne sens. D’une certaine manière, je cherche à dialoguer avec les morts. Non pour les faire parler, mais pour instaurer avec eux une parole où nous serions à part égale.

Texte de François Caillat publié dans le magazine ZEUXIS, n°10.
(enquête intitulée “ Le printemps des cinéastes, 25 cinéastes répondent à Zeuxis ”).