Comment parler des morts ? Comment faire parler les vivants ?
D’habitude, ce sont les vivants qui parlent des morts.
Ils racontent : Il était une fois…

Je voudrais organiser l’inverse. Parler des vivants, faire parler les morts. Mêler aux hommes que nous sommes ceux qui l’ont été avant nous. Mettre en scène une rencontre.

Dans cette rencontre, qui parle à qui ? Est-ce nous qui évoquons le passé, est-ce le passé qui se prolonge en nous ? Qui sont les morts et qui sont les vivants ? Ne faut-il pas dire que nous sommes tous porteurs de vies successives ?

Nous voilà pleins de ces mille vies. Mortels mais hantés. Inscrits dans un temps séculaire, par delà notre courte existence. Vivants pour tous les autres qui ne sont plus là.

Nous remontons le siècle de génération en génération, de guerres en paix, de passions en regrets, de désillusions en espoirs. Nous sommes ces soldats qui vivent plusieurs destins contraires. Nous sommes ces hommes alourdis de tant d’histoires qu’ils en deviennent des fantômes : fantômes d’un trop-plein d’événements, fantômes de l’Histoire qui s’accumule à l’excès… Fantômes de ce qui pourrait arriver, encore et encore…

Pour qui vit-on ? Et pour qui meurt-on ? À quelle histoire appartiennent ces cimetières où reposent par millions des hommes pareils à nous ? Pourquoi chaque existence est-elle vouée à devenir une parcelle de souvenir dans la mémoire d’autrui ?

Le genre documentaire, on le sait, préfère généralement traiter les morts en morts (archives) et les vivants en vivants (interviews).

La manière que je cherche veut s’affranchir de ces codes en instaurant un lieu de rencontre. Mais comment définir ce lieu ? Il est double. C’est là où vivants et morts viennent hanter l’écran : le lieu du cinéma ; c’est là aussi où je puis m’interroger et les faire parler : le lieu du documentaire.

Le cinéma documentaire. Fait de romanesque autant que de questionnement. Aux confins du monde imaginaire et du monde éveillé.

Une sorte d’hallucination vérifiée.

Il était une fois… Une histoire improbable qui a bien existé.

Texte de François Caillat, produit avec le scénario du film“Trois Soldats allemands”